Les principes de la comptabilité : création de valeur
« Création de valeur » est l’expression financière moderne qui a remplacé le terme « enrichissement ».
Les deux sont pourtant synonymes et représentatifs d’une réalité immuable du monde capitalistique : pour créer de la valeur pour l’actionnaire, donc pour l’enrichir, il n’existe que deux moyens complémentaires. Le premier est de lui restituer sous forme de dividendes une quote-part du résultat de son entreprise, le second est d’augmenter son patrimoine actionnarial par une hausse de la valeur de l’entreprise reflétant l’amélioration des perspectives de ses activités.
Pourquoi le monde financier a-t-il éprouvé le besoin de changer de terminologie ?
Sur le fond, du point de vue de la théorie financière, la création de valeur n’apporte aucune innovation. Elle restaure une vieille idée. Le capital-actions comme tout facteur de production a un coût, en l’occurrence un coût d’opportunité : c’est la rémunération susceptible d’être obtenue sur un investissement alternatif présentant un niveau de risque comparable. Pour décider d’investir, il convient donc de vérifier que la rentabilité possible est au moins égale à la rentabilité exigible.
Le taux de rentabilité requis sur un investissement est un seuil minimal. En réalisant le taux « normal » de son secteur d’activité, l’entreprise conserve sa valeur ; si elle fait moins que ce taux elle perd de la valeur, si elle dépasse le taux, elle gagne de la valeur.
Supposons qu’on achète un fonds de commerce 100 au 1er janvier. « Normalement », ce fonds doit valoir 108 un an plus tard car c’est la valeur que les concurrents sont capables d’obtenir. Mais, pour diverses raisons, notre fonds de commerce ne vaut que 103 au 31 décembre. A-t-on gagné de l’argent ? oui, en revendant 103 un fonds acheté 100, le gain est de 3 (supposons une inflation nulle). Pourtant, si on avait su que le fonds ne vaudrait que 103, on ne l’aurait pas acheté : des obligations promettaient la même performance sans risque et avec une plus grande liquidité ! La valeur du fonds de commerce a baissé : l’équivalent à la date actuelle d’une somme de 103 dans un an est de 95 (= 103/1,08). Qui accepterait de payer 100 un actif valant l’équivalent de 95 ?
D’où le paradoxe apparent : on peut à la fois « gagner » de l’argent (gain de 3 dans notre exemple) et faire une mauvaise affaire (dévalorisation de 5). Car « détruire de la valeur », ce n’est pas perdre de l’argent, c’est en gagner moins que ce qui est exigible compte tenu du risque assumé. Inversement, il ne suffit pas de gagner de l’argent pour « créer de la valeur » : encore faut-il en gagner plus que ce qui est offert par le marché pour un même niveau de risque.
Les élèves formés à l’école traditionnelle de la « valeur actuelle nette » (van) connaissent bien ce raisonnement : une van positive signifie que le projet d’investissement concerné rapporte plus que le taux exigé, une van négative montre que le projet n’est pas rentable au taux choisi, mais qu’il pourrait le devenir pour un taux plus faible.
On mesure donc la fonction essentielle du taux d’actualisation qui sert de référence. Au-dessus du taux couperet, on crée de la valeur, en dessous on en détruit. La violence des mots évoque la force des intérêts en jeu. Et la mesure du coût du capital, dont on sait la difficulté, confère une responsabilité éminente à ceux qui en ont la charge.
Ainsi, la création de valeur n’est d’aucun apport conceptuel par rapport à la théorie du coût du capital et à la classique « valeur actuelle nette ». Difficile d’assimiler à une mode la glorification d’une théorie d’âge mûr… Admettons cependant qu’en « revisitant » la théorie, les tenants de la « création de valeur » ont apporté une touche d’innovation.
En premier lieu, l’approche de la création de valeur dénote un glissement sensible par rapport à la van. Tandis que la VAN est mobilisée pour vérifier la rentabilité d’un projet industriel particulier, la mesure de la création de valeur s’applique à l’entreprise dans son ensemble : le point de vue prédominant est aujourd’hui celui de l’actionnaire « propriétaire », non de l’opérateur industriel.
Deuxièmement la création de valeur peut améliorer la mesure des performances. Il s’agit en effet d’évaluer en valeurs de marché le supplément de richesse dégagé pendant une année, autrement que par le cours boursier :
« Création de valeur » de l’année
= Résultat d’exploitation réalisé – Revenu exigé par les créanciers et les actionnaires
= (taux de rentabilité réalisé – taux de rentabilité exigé) x actif économique.
La mesure annuelle de la création de valeur offre ainsi un troisième intérêt : elle peut servir de base de calcul à une politique de rémunération des dirigeants liée aux performances fondamentales de l’entreprise et non indexée sur le cours boursier comme le sont les stock options.
La création de valeur n’est qu’un instrument de mesure mais le statut acquis par cet outil est révélateur d’évolutions dans les pratiques de gestion. En effet, les investisseurs « mettent la pression » sur la contraction des investissements et de l’actif économique, afin de maximiser la rentabilité économique. Et la création de valeur est en phase avec ce modèle : la rente est d’autant plus élevée que l’actif économique est plus faible.
Il reste alors à savoir si l’obsession de la rente ne constitue pas une incitation à sacrifier excessivement les investissements et à renoncer à une croissance rentable. Le risque est d’autant plus grand que les taux requis semblent suivre une surenchère dont le caractère soutenable ne laisse pas d’interroger.
En conclusion, la théorie de la création de valeur qui fait intervenir de nombreux concepts comptables pose à la profession une question presque existentielle : doit-elle, comme elle le fait aujourd’hui, se contenter de rendre compte de la valeur quand celle-ci; est acquise et vérifiable, ou doit-elle la prendre en compte plus en amont du processus d’enrichissement, au risque de produire des chiffres aléatoires.
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