L’entreprise, un point aveugle de la science économique, Thèse 4 : Fonder un droit de l’entreprise sur des bases scientifiques nouvelles
Depuis vingt ans, les chercheurs en gestion ont accumulé les données montrant l’impact destructeur de ces principes. Par exemple, l’extension des conseils d’administration incompétents et la disparition des règles de prudence face au risque qui expliquent pourquoi les banques se sont lancées dans les subprimes et la gestion de titres financiers incompréhensibles. Plus généralement, on a assisté à la chute des mécanismes coopératifs dans les firmes. En outre, la décomposition organisationnelle des entreprises en centres de profits a « remarchandisé » les relations et incité à la concurrence au sein des entreprises. C’est que j’ai appelé le modèle de « néocompagnie » pour souligner le retour d’un idéal marchand dans la vision de l’action collective. Tous ces éléments ont préparé la multiplication des scandales et des crises systémiques, d’abord au niveau d’un groupe industriel ou d’un secteur (Enron, Worldcom. ..), ensuite au niveau du système financier mondial. Parallèlement, et avant la crise mondiale, on a pu observer un malaise croissant des cadres jusque-là sans précèdent. À cette déstabilisation institutionnelle de l’entreprise est venu s’ajouter un deuxième élément : pour de nombreuses raisons historiques, le rythme de l’innovation est aujourd’hui intensif dans tous les domaines d’activité des entreprises. C’est donc au moment même où l’innovation est un moteur central de la compétition mondiale que, dans le monde occidental – et au nom d’un savoir économique qui n’a rien à dire sur l’entreprise – on a défait les équilibres qui ont forgé cette dernière. Alors même que l’entreprise moderne, on l’a vu, est précisément née de la nécessité de conduire des projets collectifs d’innovation.
Nous disposons donc aujourd’hui de beaucoup d’éléments convergents qui permettent d’affirmer que la crise financière est une conséquence directe de l’échec des modèles de néocompagnie, c’est-à-dire d’une doctrine économique des collectifs d’affaires dans laquelle le modèle de gestion est exclusivement néomarchand. Autrement dit, la crise est la conséquence de l’abandon doctrinal des révolutions fayolo-tayloriennes qui avaient fait entrer l’entreprise moderne dans la société, notamment après la crise de 1929. Payer un patron en stock-options, c’est défaire ce que Fayol avait fait. Réindividualiser les salaires, c’est défaire ce que Taylor avait fait. Et c’est surtout rendre l’entreprise particulièrement inapte à innover et à survivre dans une compétition par l’innovation.
Joël Métais, dans cet ouvrage, laisse entendre que l’on a « perdu la banque ». N’a-t-on pas d’abord perdu l’entreprise ? La banque n’était-elle pas le maillon faible du monde entrepreneurial, donc la première à ressentir les effets de cette déstabilisation ? Que doit faire la recherche aujourd’hui ? On a profondément mis en danger le paradigme de l’entreprise. Il faut donc le reconstruire en abandonnant les théories de l’entreprise qui sortent du champ épis- témologique de la science économique et qui sont irréalistes et contre-productives. L’entreprise est l’invention d’une forme d’action collective créatrice qu’il n’est pas possible de déduire d’une théorie utilitariste des échanges. L’entreprise mobilise bien évidemment les échanges marchands, mais sa vocation essentielle, en tant qu’action collective, est dans sa logique créative. Ou pour le dire plus simplement : les entreprises ont besoin des échanges marchands pour survivre, mais tous les marchands n’ont pas vocation à créer des entreprises. Par ailleurs, il n’existe pas de théorie de l’entreprise en droit. Il n’y a qu’un droit des sociétés qui a pu suffire tant que ses dispositions laissaient une place à la réalité de l’entreprise. Mais l’expérience a montré que ce filet de protection était fragile et n’a pu résister aux tentations d’une interprétation exclusivement actionnariale de ce droit.
Il nous faut donc reconstruire ce qui avait été fait à la fin du XIXesiècle, et refonder l’entreprise sur de nouveaux postulats. Nous y travaillons avec d’autres chercheurs et notamment avec des économistes, mais qui ne peuvent être ceux de la science économique dominante, science de l’échange marchand qui n’a pu saisir, pour notre malheur, le phénomène de l’entreprise moderne et de son gouvernement.
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