La voie étroite d’un développement énergétique durable au xxl siècle : La croissance économique des pays émergents et ses conséquences énergétiques
On date la révolution industrielle du début du XIXe siècle. On consommait alors sur la planète de l’ordre de 200 millions de tep (tonnes équivalent pétrole), essentiellement du bois. Ce sera le siècle du charbon et de la première révolution industrielle en Angleterre. Que l’on songe à la machine à vapeur de James Watt ou aux locomotives de Stephenson. C’est le début du système industriel que l’on connaît aujourd’hui, époque où l’Angleterre domine le monde. En un siècle, de 1800 à 1900, on passe à 1 milliard de tep, soit une augmentation très rapide de l’approvisionnement énergétique, utilisation du charbon oblige.
L’essor du pétrole est concomitant de celui de l’automobile. Ainsi assiste-t-on, dans la première partie du XXe siècle à l’avènement de l’automobile de masse aux États-Unis. Le pétrole devient alors une énergie très importante pour les transports. En un demi- siècle, entre 1900 et le lendemain de la seconde guerre mondiale, on passe de 1 à 2 milliards de tep. L’essentiel de la croissance de la consommation mondiale d’énergie se joue après, la consommation passant de 2 milliards de tep en 1940 à 10 en 1990.
L’essor des énergies fossiles a permis une augmentation considérable des quantités d’énergie disponibles pour les sociétés humaines.
Le rôle de l’hydraulique et du nucléaire est aujourd’hui important, mais pas considérable dans le total, 6 % du bilan énergétique mondial pour chacune, contre près de 80 % pour le fossile. Si cet essor a sans doute constitué une chance pour la croissance et le développement, il représente de nos jours un problème majeur, puisqu’il nous faut complètement changer de paradigme énergétique.
En termes de grandes dynamiques économiques, on peut distinguer trois mondes. Le premier, développé, connaît en moyenne une croissance annuelle de 2 % du pib (produit intérieur brut) par habitant. Le deuxième groupe, pris dans ce que l’on pourrait qualifier une trappe à pauvreté, est constitué des pays en développement qui se sont encore appauvris à la fin du xxe siècle. Le troisième est formé par les pays émergents, dont la Chine et l’Inde. Il croît à une vitesse extrêmement rapide. Il y a aujourd’hui environ 300 millions de personnes en Chine et 250 millions en Inde dont le standard de vie se rapproche du nôtre. C’est de l’essor économique de ces pays émergents que provient la très forte croissance mondiale des dernières années.
Lorsque l’on établit des projections de scénarios énergétiques mondiaux, on ne prolonge bien évidemment pas les tendances actuelles de croissance de la Chine et de l’Inde et l’on suppose qu’au fur et à mesure des rattrapages de productivité, les pays émergents auront une trajectoire de croissance qui se ralentira progressivement, pour atteindre à terme celle des pays les plus avancés. Au-delà de la crise en cours et compte tenu de ce rattrapage, on s’attend cependant à une multiplication par quatre, au moins, du pib mondial en 2050, soit une croissance moyenne de 3 % par an, alors que la population augmentera de 50 %.
Compte tenu de ce que l’on sait des dynamiques de l’économie et de l’énergie, quelle pourrait être une projection énergétique « de référence » ? Nos travaux de prospective récents font apparaître une multiplication par deux de la consommation mondiale d’énergie entre aujourd’hui et 2050. Cette observation reste assez conservatrice par rapport à l’hypothèse évoquée plus haut d’une multiplication par quatre du pib mondial. On suppose déjà des progrès considérables en matière d’efficacité énergétique. On pourrait certes être encore plus efficace mais, dans cette projection de référence déjà, la hausse des prix de l’énergie et les évolutions structurelles des économies sont supposées entraîner une modération certaine de la demande.
Dans la même projection, les productions de pétrole et de gaz naturel augmentent peu au cours des prochaines décennies parce qu elles sont contraintes par les ressources disponibles. Dans ce contexte, même si le nucléaire, la biomasse et les autres énergies renouvelables se développent largement, on assiste à un grand retour du charbon qui demeure une source d’énergie abondante et bon marché pour boucler le bilan énergétique mondial. D’ailleurs, on note déjà aujourd’hui que des investissements massifs sont réalisés à l’échelle mondiale pour développer des mines, des infrastructures, des ports et des navires de transport. Dans cette dynamique, le siècle à venir serait celui du charbon.
S’agissant du pétrole, il faut revenir sur la thèse du pic pétrolier ! Avant le début des années 1980, on découvrait sans cesse plus de pétrole que l’on n’en produisait. Le niveau de la baignoire, du stock de réserves pétrolières, augmentait. Depuis, elle tend à se vider et les réserves ont cessé d’augmenter. Dans les années 1990, beaucoup pensaient que I’opep (Organisation des pays producteurs de pétrole) allait disparaître, estimant que le pétrole allait devenir une commodité comme une autre. C’était oublier que ses pays membres disposent de plus de 75 ans de réserve au niveau de production actuel et surtout qu’ils détiennent près des trois-quarts des réserves mondiales. De plus, le problème physique des ressources se complique par la prise en compte de la dimension géopolitique, puisque ces réserves sont concentrées dans l’une des parties du monde les plus exposées aux tensions de toutes sortes.
Cela posé, revenons au deuxième problème de baignoire. On dispose de l’ordre de 3 000 milliards de tonnes de carbone sous forme de charbon, contre 300 pour le pétrole et le gaz. Chaque année, on prélève l’équivalent de 8 milliards de tonnes de carbone sous forme d’énergie fossile, auxquelles il faut en ajouter 1 milliard issues de la déforestation. Compte tenu des puits de carbone, environ 6 milliards de tonnes de co, partent annuellement dans l’atmosphère et viennent s’ajouter à un stock d’environ 800 milliards de tonnes, soit moins de 1 %. On peut estimer que ce n’est pas beaucoup. Ce serait oublier que la baignoire – soit le stock de co, dans l’atmosphère – se remplit très vite. À supposer que l’on stabilise le niveau actuel, ce qui n’est pas aisé, il suffirait de 40 ans pour ajouter 240 milliards de tonnes et ainsi doubler la teneur en carbone par rapport à la situation préindustrielle. Les enjeux s’apprécient donc sur un horizon de quelques décennies seulement.
Si l’on ne contraignait les émissions que d’une manière modérée, il faudrait s’attendre à une augmentation de la température de l’ordre de 4 °C à long terme, loin de l’objectif du 2 °C avancé comme le seul acceptable par les climatologues. Pour l’atteindre, il faudrait fermer le robinet très rapidement et plafonner les émissions mondiales dès 2020. Entre ce scénario idéal et le doublement des émissions à l’horizon 2050 de la projection de référence, qui nous placerait face à des hypothèses de très forte aggravation du changement climatique, quelle sera la capacité des gouvernements à s’engager sur la voie d’une forte réduction des émissions ?
Le modèle de développement énergétique mondial actuel, alimenté d’abord par les consommations des pays industrialisés, mais de plus en plus par celles des pays en voie de développement, n’est pas durable. Sans politiques vigoureuses, il nous entraînera dans un monde de crises, et probablement de double crise : d’une part une compétition exacerbée pour l’accès aux ressources de pétrole et de gaz naturel, qui pourra aller jusqu’à des guerres de l’énergie ; d’autre part un réchauffement climatique accéléré, avec une déstabilisation des systèmes productifs locaux, de l’agriculture en particulier dans les pays en voie de développement. Le laisser-faire mène inexorablement à un monde de violence, de crises et de migrations accrues.
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