Le marché du travail : Accumuler les politiques ou les nettoyer ?
En France, la relance tombe à l’eau. Une telle situation oblige de changer de politique – ce que l’on nommera la rigueur. Yolcker ayant cassé l’inflation, Reagan joue la relance. Il lance la « guerre des étoiles » et il baisse les impôts de manière massive, et pas uniquement pour les riches. Les achats de cuisines aménagées s’envolent… Les Américains se remettent à consommer et croient à nouveau au rêve. D’un côté, le pays enregistre un déficit budgétaire abyssal ; de l’autre, la Réserve fédérale américaine ne veut pas d’inflation. Une telle situation remet totalement en cause les visions.
Petit à petit, la France comprend ce qui se passe aux États-Unis, mettant au premier plan une désindexation des salaires. Aussi va-t-elle se lancer dans cette voie, tant et si bien qu’il n’y a plus d’inflation en France en 1986. Elle y parvient sans disposer cependant d’une capacité de relance. Si la Banque centrale est indépendante aux États-Unis, elle ne l’est pas en France. C’est donc à l’État d’être crédible, en ce sens qu’il ne doit pas creuser le déficit budgétaire, tout en contenant l’inflation. Le « miracle » américain aura pour effet des prescriptions de long terme : Maastricht, l’euro, une Banque centrale européenne indépendante, dont l’objectif d’inflation est de 2 %. Tout cela est né de la réflexion des économistes, lesquels ont eu une efficacité à travers les nouvelles théories qu’ils pouvaient avancer pour casser l’inflation. Puissance, donc, et danger des économistes, qui peuvent se tromper comme avoir raison. On est face à une discipline qui fait prendre des risques majeurs au décideur public, des millions d’humains pouvant se retrouver au chômage.
Mais dans les années 1980, une compréhension microéconomique du fonctionnement du marché du travail apparaît. De multiples théories économiques émergent, qui vont mettre en germe les politiques des années 1990, voire 2000. L’une d’elles, particulièrement intéressante, est celle des insiders!outsiders. Les salaires et l’emploi, par exemple, se décident de manière relativement décentralisée. Pour une entreprise, ceux qui sont en place ont plutôt tendance à se protéger face aux chômeurs. Par conséquent, même si la croissance économique repart, les insiders, au sein des entreprises, auront plutôt tendance à s’accaparer cette croissance, au détriment de ceux qui sont à l’extérieur. Il y aura une asymétrie due à des chocs économiques.
On change donc de vision sur les politiques, notamment de l’emploi. Et l’on sait que les mauvaises politiques peuvent avoir des effets de très long terme. Tout cela impose de réfléchir aux bonnes politiques. Au début des années 1990, les économistes principalement orthodoxes s’interrogent sur la bonne politique de l’emploi à mettre en œuvre. Ce mouvement se traduira en 1994 par une étude de I’ocde qui donne un certain nombre de prescriptions, dont l’activation des politiques de l’emploi. Indemniser les chômeurs génère du chômage. Car si l’on est indemnisé, on aura des prétentions salariales plus importantes. Ce faisant, le marché ne sera pas capable d’offrir de l’emploi pour tous. D’où la terminologie de la flexisécurité : protéger les personnes, les former, exiger d’elles de prendre un emploi. Il s’agit donc de passer d’une politique passive à une politique active.
Il s’agit aussi, dans les différents pays, de baisser le coût du travail. On est à la fois face à une mondialisation, qui a plutôt tendance à tirer vers le bas les rémunérations des personnes les moins qualifiées, mais aussi à un changement technologique global, qui avantage les plus qualifiées, rend moins utile le travail peu qualifié et baisse son prix sur les marchés. Aux États-Unis, on observe que le salaire minimum diminue d’année en année. Un consensus transatlantique s’est établi. S’il y a peu de chômage aux États-Unis, c’est parce que l’on a baissé le coût du travail. Au contraire, si l’on instaure un salaire minimum, on ne peut baisser naturellement les salaires, ce qui met toute une partie de la population hors du champ de l’emploi.
Comme on n’entendait pas baisser le salaire minium en France, on a baissé les charges sociales, sous la gauche, en 1992. La proposition sera mise en oeuvre par MM. Balladur, Juppé, puis Jospin et Fillon, lorsque ce dernier sera ministre de l’Emploi. Aujourd’hui, il s’agit du premier poste de la politique de l’emploi, 26 milliards d’euros étant mis en œuvre chaque année pour alléger les charges sociales. Une telle mesure, une nouvelle fois, est entièrement le résultat du rôle des experts et d’un consensus entre la majorité des universitaires et des experts. Lorsqu’un tel consensus existe, on est donc capable d’implémenter une politique sur quinze ans, malgré les changements de gouvernement.
Dans le même temps, d’autres types de progrès auront lieu du côté empirique. L’économiste dispose de nouvelles bases de données, de nouveaux outils informatiques, de nouvelles méthodes économétriques. Il peut ainsi avancer dans la compréhension des mécanismes microéconomiques, mais aussi renforcer sa capacité d’évaluation des politiques. Aussi assiste-t-on à une vague de travaux d’évaluation qui implique un « nettoyage » de différents types de politiques. On demandait ainsi une contribution aux employeurs dès lors qu’ils licenciaient un salarié de plus de 55 ans. Les travaux empiriques ont montré qu’un tel dispositif ne fonctionnait pas : il a été supprimé en 2008. L’expert ne joue plus sur une accumulation de politiques pour résoudre un mal, mais il aide à les nettoyer.
Vidéo : Le marché du travail : Accumuler les politiques ou les nettoyer ?
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