Comment penser les frontières de l’économie : Une rapide histoire de la banque
L’histoire de la banque semble se perdre dans la nuit des temps. Cela explique peut-être que le mot banque soit un terme passe- partout, qui, au gré des époques et pays, évoque des agents économiques remplissant des fonctions, plus ou moins nombreuses et aussi différentes que variées.
Les banquiers lombards puis florentins du Moyen Age se consacrent largement aux opérations de change, dans un monde où les espaces monétaires sont très fragmentés par rapport à l’époque contemporaine. Banca désigne d’ailleurs le banc sur lequel on fait du change manuel. Ils financent aussi le commerce international (de la Lombardie aux Flandres, par exemple) au moyen de lettres de change. L’intérêt étant prohibé dans le Moyen Âge chrétien, ces dernières permettent non seulement de soutenir par du crédit les échanges internationaux mais aussi de cacher le taux d’intérêt dans le report/déport du taux de change à terme par rapport au taux comptant. À cet égard, la lettre de change fut un bel exemple d’innovation financière induite par la contrainte réglementaire, selon la théorie de l’économiste américain William Silber. Les plus illustres d’entre eux, les Médicis, seront aussi les banquiers des princes à une époque où les finances publiques sont souvent déficitaires !
Or, ces banquiers lombards et florentins des xiiic et XIVe siècles ne sont pas tout à fait comparables aux Fugger qui vont dominer la finance du Saint Empire romain germanique des XVe et xvie siècles. À la tête d’un véritable conglomérat multinational, ceux-ci financent certes le commerce et les princes, mais déploient aussi des activités commerciales florissantes sur l’ensemble de la planète tout en possédant des mines d’argent et de cuivre dans les pays d’Europe centrale.
Mais, quoi de commun entre les précédents et la banque d’Amsterdam aux xviie et xvme siècles ? Elle a déjà des allures de banque centrale. Première tentative de banque de dépôts, elle bénéficie de la garantie publique des autorités des Provinces unies et est chargée de veiller au maintien de la valeur de la monnaie nationale grâce au monopole des activités de change et de la régulation du marché monétaire par le biais des premières opérations d’open market.
Quoi de commun, encore, entre cette dernière et les merchant bankers qui dominent la finance britannique du début du XIXesiècle jusqu’à la première guerre mondiale ? Lointains héritiers, certes, des Lombards et des Florentins, ils sont eux aussi, à l’origine, des négociants. Mais bientôt, ils prennent conscience qu’il est pénible et dangereux de transporter des marchandises par voie maritime et de les stocker dans des entrepôts de par le monde ! Mieux valait donc tirer profit de ce qui était devenu leur savoir-faire et de leurs actifs intangibles les plus valeureux. En l’occurrence, le réseau de leurs partenaires et agents commerciaux dans le monde entier, avec lesquels ils négocient et traitent depuis longtemps. Cela leur a permis d’accumuler un stock précieux d’information privée sur ces partenaires dont ils sont aussi bien connus ! Ils vont désormais pouvoir s’engager dans le financement de ce commerce international, par le biais d’acceptations bancaires tirées sur des marchands importateurs au profit de leurs fournisseurs. Ils y adjoignent bientôt l’activité de financement des grands projets d’infrastructure à l’étranger par le biais de la syndication et de l’émission des emprunts obligataires étrangers en livres sterling cotés à Londres. Les Baring restent sûrement, même après leur faillite en 1995, la figure emblématique de ces merchant bankers londoniens.
Quoi de commun enfin avec la banque d’aujourd’hui, celle d’où l’on retire de l’argent par le biais d’un distributeur de billets ? Cette banque a véritablement été inventée par les Ecossais au tournant du xvme siècle. Ce qui va devenir la banque de dépôts n’est alors qu’un agent économique, comme un orfèvre, auprès duquel on dépose de l’or, par exemple, pour le mettre en sécurité ou en gage. Celui-ci remet en échange des certificats de dépôt, véritables billets qui se mettent à circuler entre divers agents économiques pour éteindre des dettes et jouent ainsi le rôle de monnaie. Au vu des demandes de conversion (remboursement) en or des certificats de dépôt par leurs détenteurs, les dépositaires réalisent bientôt qu’ils peuvent émettre plus de certificats qu’ils ne disposent d’or dans leurs coffres – par exemple, en échange d’une reconnaissance de dette, une lettre de change signée par un emprunteur pour financer une activité. Ainsi, par cette sorte de coup de génie, est « inventée » la banque de dépôts moderne qui allie création monétaire et octroi de crédit à l’économie.
Bien sûr, cette banque souffre d’une tare congénitale : sa propension à être victime d’une panique bancaire, lorsque tous ses clients se présentent au même moment pour récupérer leur or. C’est cet insoluble problème qui a sous-tendu toutes les crises bancaires de l’Histoire, y compris celle de 2008.
Ce bref tour d’horizon historique amène à une première conclusion. Les métiers bancaires ont toujours été très divers. Leur gamme n’a cessé de s’élargir. Ils ont été associés de diverses manières, selon les pays et les époques, par ce que l’on a depuis longtemps eu coutume d’appeler des banques. Aujourd’hui, celles des pays industrialisés embrassent la majorité des activités historiques que l’on vient de rappeler. Mais, souvent, elles y associent bien d’autres métiers, plus récemment apparus et bien plus complexes, comme la gestion des risques avec des instruments dérivés financiers.
Dressons un rapide tableau des développements de l’analyse du rôle des banques au cours de l’histoire de la science économique.
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