De l’influence des idées économiques sur la Banque centrale
Les ingénieurs économistes disposaient alors de modèles macroéconomiques. Leurs simulations permettaient de faire baisser le coût du travail, ce que l’on pensait nécessairement bon pour les jeunes. Mais la réforme s’est mise en place de telle manière qu’elle a totalement bouleversé le marché du travail, ce qui obligera Raymond Barre à mettre en oeuvre un deuxième, un troisième plan et ainsi de suite. La gauche en fera de même, à telle enseigne que l’on compte plus de douze plans, répétant toujours un mécanisme identique. De telles réformes ne touchent pas que la France. L’Allemagne, par exemple, disposait d’un système d’apprentissage qui était mal en point. Elle décide de changer non pas le mode d’entrée des jeunes sur le marché du travail, mais de subventionner l’apprentissage, bref, de faire en sorte que les entreprises continuent le même type de politique. Au lieu de changer le modèle, on le consolide.
Reste que l’on constate un phénomène de dégradation du travail, doublé d’inflation et d’un second choc pétrolier. La politique macroéconomique mise en œuvre en France était alors relativement proche de celle des Etats-Unis. J’ai dit que l’expert économiste peut jouer un rôle majeur en politique. Aux États-Unis, Paul Volcker arrive à la tête de la Réserve fédérale américaine en 1979, avec l’objectif de casser l’inflation. Il demande à ses services d’étudier le moyen de baisser l’inflation de 14 à 4 %. À l’époque, on mettait en avant un ratio, qui a depuis disparu : le ratio de sacrifice, qui tend à évaluer ce que coûterait une telle politique. Ses services font tourner leurs machines et concluent qu’il faudrait casser de cinq fois la richesse nationale américaine pour y parvenir, soit un choc considérable.
Parallèlement, de jeunes économistes se sont interrogés et ont avancé deux nouveaux types de théories. La première porte sur la formation des prix et des salaires. Ce sont des agents économiques qui réclameront des salaires plus élevés en période d’inflation, laquelle se reproduira. Si tous les agents croient qu’il y aura de l’inflation, il y en aura. La « casser » sera très difficile, tant ils ont en tête une telle situation. Dans les faits, personne ne croit à la baisse de l’inflation, tant et si bien qu’une éventuelle intervention publique sera très difficile à mettre en œuvre. Surtout si la banque centrale a une politique discrétionnaire, ne respectant pas ses annonces.
De jeunes économistes estiment qu’une voie totalement différente peut être prise. Elle consiste à se fixer une règle : si l’on décide de tout faire pour que l’économie ne soit pas inflationniste, on devient crédible, ce qui permettra de faire disparaître l’inflation. Volcker se retrouve ainsi face à un dilemme entre d’anciens et de jeunes économistes qui le lanceraient dans une sorte de vaste néant.
Que fait-il pour supprimer l’inflation aux États-Unis ?
Il serre les boulons, tellement que le pays connaît sa plus forte récession et ses plus fortes montées de chômage depuis les années 1930. Revenons à la France et aux années 1980. On ne sait pas si l’économie va reprendre ou pas, tant la situation est mouvante. Là aussi, tous les instituts de conjoncture observent qu’un fou est à la tête de la Banque centrale, et qu’il ne pourra pas poursuivre éternellement sa politique. Il sera obligé de reprendre une politique expansionniste, qui débouchera sur une reprise de la croissance mondiale par la demande américaine. Lorsque François Mitterrand arrive aux affaires, tous les voyants sont au vert. On dit à la gauche française, en particulier des économistes particulièrement orthodoxes, que c’est le bon moment pour relancer l’économie française car une demande mondiale va lui être adressée, suffisante pour que la France soit isolée dans sa relance. Or, personne n’avait compris ce qui se jouait aux Etats-Unis. Que constate-t-on ? Patatras ! Volcker veut être crédible et poursuit sa politique. Tant et si bien que les prévisions de croissance s’avèrent totalement erronées. L’économie mondiale, notamment le commerce mondial, qui devait augmenter de cinq points selon I’ocde, enregistre une baisse de 7 %. Et dès 1983, l’inflation est vaincue aux États-Unis. Le pays ne connaîtra plus de pics d’inflation à deux chiffres. Où l’on voit comment des idées économiques peuvent radicalement modifier une politique, même macro-économique qui est celle d’une Banque centrale.
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