Économie et créativité : La créativité, une catégorie économique ?
La société Pixar, qui fait figure de référence, est l’une des entreprises innovantes les plus intéressantes à Montréal. Ses méthodes sont passionnantes : pour y doper la créativité, il n’y a pas de contrat, du moins un minimum. On doit pouvoir s’impliquer avec aussi peu de prescription que possible. Dans cette société, on pratique le mélange des apprentissages : les comptables peuvent y faire de la créativité et les créateurs de la comptabilité. Chacun doit pouvoir participer à l’effort créatif. À cette fin, de nombreuses techniques sont utilisées. Chaque soir, par exemple, chacun présente son travail sur une table, pour faire le point.
Comment l’économie peut-elle essayer de rendre compte de cette réalité ? La difficulté est de taille parce que l’économie n’utilise jamais le mot « création ». Seul Joseph Schumpeter le fait avec la notion de destruction créatrice. Encore est-ce surtout la destruction qui l’intéresse, l’innovation étant une combinaison nouvelle introduite dans l’économie.
L’économiste remplace le mot « création » par celui d’« invention », qui évoque une notion beaucoup plus limitée. Lorsque l’on s’intéresse à la capacité de se saisir de connaissances nouvelles et d’aller les proposer sur le marché, le cœur du processus est désigné par la notion d’« invention ». Elle renvoie au couplage du monde scientifique à celui de l’ingénieur, qui se traduira par des brevets et la reconnaissance d’une idée utile. Cette acception, on le voit, est très limitative par rapport à ce que cherche à exprimer la « création ». L’exemple de l’iPod d’Apple est bien connu. S’agit-il d’une invention ou d’une création ? Pour un économiste, ce n’est pas une invention : tous les brevets de l’iPod existaient depuis bien longtemps. De fait, cet appareil résulte d’un bricolage, d’une combinaison d’anciennes techniques auxquelles on a ajouté quelques nouveautés tellement marginales que l’on ne saurait en faire une invention. En revanche, l’iPod est une création – le sens commun le reconnaîtra – au moins pour deux raisons. D’une part, cet objet est beau, mais surtout, il a changé les règles du jeu régissant l’écoute de la musique. Créer, ce n’est pas simplement modifier les règles de la production. C’est aussi modifier la manière de consommer. Or cette dimension n’est nullement prise en compte par la théorie économique.
Dans un bel article où ils montrent l’incapacité de l’économie à saisir les activités de création, Björn Asheim et Meric Gertler soulignent que toute innovation est le résultat de l’intégration de trois bases de connaissance : le savoir analytique, le savoir synthétique et le savoir symbolique, soit le savoir du scientifique, celui de l’ingénieur et celui de l’artiste. Ils constatent que toute la science économique s’est concentrée sur les deux premiers termes, ignorant superbement le troisième, contrairement à la gestion. Selon eux, le savoir scientifique est universel, en faisant appel à des instances de validation reconnues par tous, alors que le savoir symbolique, lui, est essentiellement local et fait appel à des instances de validation liées à la culture locale – point important lorsqu’il sera question des « villes créatives ». Bref, la créativité au sens large joue un rôle central dans le passage de la connaissance à l’innovation. Elle suppose une interaction permanente entre ce que les économistes appellent l’invention et l’innovation.
La créativité est-elle une catégorie économique ? C’est une question essentielle. Mes collègues répondent le plus souvent par la négative. Le génie créatif ne s’expliquerait pas par l’économie, mais par d’autres disciplines. Un économiste devrait donc s’occuper d’innovation, surtout pas de créativité. Or, lorsque l’on étudie les créateurs les plus individuels, on peut montrer que la créativité est un processus social.
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