Économie et créativité : Le modèle de la « ville créative »
Un tel modèle permet de mieux comprendre ce qui se passe dans les « villes créatives ». Les activités créatrices mises en avant par des rapports comme celui de l’ocde ne se concentrent pas uniquement dans les capitales occidentales et on les trouve à Rio, au Cap ou à Jakarta. C’est dans ce cadre que Richard Florida publie son livre en 2002.
Pour lui, il suffit que des cités soient capables d’attirer une classe créatrice, des scientifiques et des artistes, pour créer un nombre d’externalités qui donnent lieu à des innovations et des activités à forte valeur ajoutée. Florida rencontrera un immense succès politique, mais suscitera aussi beaucoup de critiques académiques, de toutes parts : les gens de droite lui reprochent de préconiser un procédé qui extorque les fonds publics ; ceux de gauche son caractère élitiste.
Florida ne donne en fait qu’une condition éventuellement nécessaire de la ville créatrice : mettre ensemble des talents créatifs. L’idée est sans doute intéressante, mais elle n’est pas suffisante. Réunir les onze meilleurs joueurs de football au monde ne suffit pas pour former « une équipe ». Florida n’explique pas les processus créatifs, réels, qui peuvent se dérouler dans des clusters innovants : il ne rend compte que d’une théorie de la concentration des talents. À l’image des clusters industriels, où s’il s’agit de concentrer des « grappes » d’industries pour susciter une émergence, Florida propose une concentration d’individus talentueux. Il s’agit en fait de modèles relativement restreints d’externalités. L’hypothèse est toujours la même : les clusters industriels ne comprennent que le milieu scientifique et l’industrie ; Florida, lui, ne met ensemble que des talents créatifs. Dans les deux cas, on révèle la capacité d’innover en concentrant des firmes ou des individus.
Avec Laurent Simon, en observant la ville de Montréal, nous avons essayé de proposer une autre lecture du processus des clusters créatifs, par une interaction incessante entre trois couches : l ’ upperground, la couche des firmes et des institutions créatrices, celle des organisations ; l’underground, celle des individus ; et le middleground, celle des communautés, mais surtout de la formation des collectifs qui vont permettre aux idées créatives d’atteindre le marché.
La ville de Montréal est très intéressante : elle abrite des entreprises comme le Cirque du Soleil ou Ubisoft, qui ne sont pas loin du modèle Pixar. Elles présentent en particulier les caractéristiques suivantes : elles n’ont pas de département de Ret D important, ni de puissantes filiales dans le monde pour copier leurs idées ; elles ne participent pas à des réseaux industriels majeurs ; et elles ne bénéficient pas de subventions de recherche de la part des pouvoirs publics.
Selon nous, elles sont hypercréatives car elles délèguent aux clusters créatifs les lieux de rencontre et d’extraction des idées qui viennent de Y underground et qui sont élaborées et « épaissies » dans le middleground. Les gens qui conçoivent des jeux à Ubisoft n’en sont pas forcément des employés. Ils se retrouvent le soir dans des lieux où ils rencontrent d’autres communautés, des musiciens par exemple. Aussi la direction d’Ubisoft peut-elle considérer que la ville de Montréal constitue son laboratoire de recherche.
Quant à Xunderground, il est composé de talents divers, qui ne vont pas tous chercher à percer sur le marché. Certains présentent leurs idées, d’autres pas. Mais la créativité va beaucoup dépendre de la capacité d’organiser le middleground, soit d’animer à l’échelle locale un système de validation, de reconnaissance et d’« épaississement » de ces idées pour les amener sur le marché. Toutes les villes ne peuvent le faire. Il faut un Café de Flore ou des Ramblas, mais aussi des capacités de se coordonner, des associations… C’est cette richesse qui va entraîner la créativité et qui fera émerger des styles, des manifestes, des codebooks.
À titre d’exemple, Ubisoft est une firme de 1 ’upperground. Nous ne nous attarderons pas sur l’underground sauf à souligner qu’il y a des adeptes inconditionnels de jeux vidéo partout à Montréal. Le middleground est fait d’associations, de sommets internationaux, de festivals de rue, de workshops. Ce laboratoire de recherche délégué d’Ubisoft crée aussi des effets externes dans la ville. On comprend que l’entreprise n’ait pas envie de quitter ce « sol fertile » dans lequel elle a laissé se développer ses racines, même si d’autres agglomérations dans le monde seraient ravies de l’accueillir…
Ce type de cluster créatif est intéressant pour les économistes. La richesse territoriale ne tient pas à la juxtaposition et à la simple concentration de talents, d’entreprises ou de milieux scientifiques, mais à la construction de collectifs informels, indispensables. Il soulève un certain nombre de problèmes. Comment financer la créativité ? Les banquiers reconnaissent tous ces modèles, mais ne financeront que s’il y a brevet. Il pose aussi de nombreuses questions aux économistes…
Vidéo : Économie et créativité : Économie et créativité : Le modèle de la « ville créative »
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