La banque : une institution et un modèle à réinventer
Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise.
THOMAS JEFFERSON
Le banquier est quelqu’un qui vous prête son parapluie lorsque le soleil brille et vous le retire aussitôt qu’il pleut.
MARK TWAIN
A bien des décennies de distance, ces propos du troisième président des États-Unis et du célèbre romancier américain ne semblent rien avoir perdu de leur pertinence. On serait même tenté de les trouver prophétiques.
Ils sont, il est vrai, empreints de cette méfiance quasi congénitale d’une partie du peuple américain vis-à-vis des banques, en particulier des plus grandes. Celle-ci est toujours restée vivace au sein de certains courants d’économistes ultralibéraux et autres héritiers de l’esprit des pères fondateurs. Et cette attitude n’est-elle pas tout aussi présente aujourd’hui chez ceux qui cherchent à réformer en profondeur le système financier et prônent, à l’instar de Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine, la limitation de la taille des banques pour contenir le coût de leur éventuelle faillite pour les contribuables ?
Mais ces propos ont aussi une portée universelle si l’on en juge par les méfaits des crises bancaires tout au long de l’histoire. Celle de l’automne 2008 ne saurait les contredire !
Aussi, y a-t-il quelque paradoxe à relever qu’au cours de l’histoire de la pensée économique, peu d’économistes se soient vraiment intéressés à la banque, en tant qu’entreprise, en dehors de son pouvoir de création monétaire et des conséquences macro-économiques de ce dernier. Cette spécificité de la banque comme institution économique a souvent enfermé la réflexion dans des débats certes intéressants mais trop étroits.
De fait, le savoir contemporain à propos de la nature et du rôle des banques et des intermédiaires financiers commence vraiment à se constituer au sein de la science économique à partir des années 1960. Il va connaître des progrès fulgurants à partir des années 1980. Or – et c’est un autre paradoxe – au moment où l’on dispose désormais de toute une série d’outils analytiques pour mieux comprendre la nature et le rôle de la banque et les crises bancaires, les banquiers vont s’engager, avec la complicité – parfois inconsciente – des instances de régulation et des responsables politiques, dans une voie qui allait nous amener à la catastrophe de l’automne 2008. Sans prétendre réécrire l’histoire a posteriori, on serait, en effet, tenté de dire que tout s’est passé comme si on avait sciemment accumulé toutes les erreurs possibles pour en arriver à cette crise. Comme si l’on n’avait rien retenu des enseignements des crises précédentes qui ont pourtant fait l’objet d’analyses peu contestées.
Avant de présenter les principaux éléments du savoir contemporain à l’endroit des banques, il n’est pas inutile de faire un détour par leur histoire. On verra qu’au-delà d’un dénominateur commun, le commerce de l’argent, elles peuvent emprunter des traits fort divers selon les lieux et les époques.