La construction des objets économiques : Recentrage microéconomique et impérialisme disciplinaire
La crise des années 1970 a eu pour effet de bouleverser ce paysage simple. Sa première incidence a consisté en une inversion (non symétrique) des positions théoriques repérées jusque-là, les unes comme orthodoxes, les autres comme hétérodoxes. En quelques années, sous les coups de la critique des « nouveaux classiques », l’ancienne synthèse entre Keynes et la théorie classique perd son statut d’orthodoxie. Elle est remplacée par un programme de recherche sur « les fondements microéconomiques de la macroéconomie », qui se développe en deux temps. Il s’agit tout d’abord de montrer qu’il peut exister des équilibres keynésiens. Puis, en un deuxième temps, la microéconomie prend le pas sur les raisonnements en termes de grandeurs agrégées. Inversion non symétrique, on l’a dit : l’ancienne orthodoxie macroéconomique ne devient pas hétérodoxie, mais s’efface du paysage théorique de la recherche.
Ce mouvement, profond, de recentrage de la discipline sur une perspective microéconomique organisée autour de la figure théorique de l’agent rationnel et maximisateur, entraîne une redistribution des frontières disciplinaires entre la théorie économique et les autres sciences sociales. L’heure est à un puissant mouvement d’exportation des concepts de la microéconomie vers les autres disciplines. Adossée à une représentation simple des comportements rationnels des individus, Gary S. Becker développe, dans le cadre de l’université de Chicago, une « approche économique des comportements humains » qui intègre au territoire de l’analyse économique des comportements démographiques, domestiques, familiaux, religieux… Parallèlement, la théorie du Public Choice propose d’analyser en termes de marché et d’action rationnelle tout ce qui concerne l’État et son intervention. Le mouvement est profond et, en quelques années, la théorie de l’action rationnelle « envahit » — le terme de l’époque est celui d’impérialisme économique – les départements de sociologie et de science politique des universités nord-américaines.
De façon symétrique, on assiste à un recul des programmes de recherche fondés sur les théories générales. Du côté de la macroéconomie keynésienne, mais également du côté de la microéconomie, dont la théorie reine de l’équilibre économique général perd de son aura sous les coups successivement assénés par le théorème d’impossibilité d’Arrow, le paradoxe du parétien libéral de Sen, ou encore les théorèmes de Sonnenschein, Mantel et Debreu. On constate également un recul des politiques générales. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait plus de politiques économiques, mais qu’elles deviennent plus locales, plus ciblées sur un territoire, une conjoncture spécifique ou une catégorie de la population : la discrimination entre hommes et femmes, entre travailleurs nationaux et travailleurs récemment immigrés, l’environnement, la décentralisation des territoires, les micro entreprises…
Du côté de l’épistémologie, l’éclatement est, là aussi, présent et l’avènement du post positivisme ouvre une période de pluralisme méthodologique. Aux États-Unis, l’heure est aux débats autour du postmodernisme et des thèses qui développent l’idée, double, d’une construction sociale de la science et d’une construction sociale des objets de la science.
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