la construction des objets économiques : Un point de départ : les Trente Glorieuses
Comment apparaissent de nouveaux objets en théorie économique ? Comment se construisent de nouveaux objets, de nouveaux corpus, de nouveaux regards sur l’individu, sur la rationalité, sur les interactions sociales, sur les équilibres macroéconomiques ? Quelles relations ces objets entretiennent-ils avec les disciplines voisines ? Quels effets de performativité produisent-ils sur les réalités économiques ?
Ces interrogations ramènent toutes aux glissements qui se sont produits depuis les dernières années du XXe siècle, éloignant progressivement la discipline des orthodoxies analytiques et méthodologiques qui avaient dominé les années d’après-guerre. Prises ici comme point d’appui de la démonstration, ces Trente Glorieuses, qui débutent au lendemain de la seconde guerre mondiale et qui s’arrêtent avec les chocs pétroliers du début des années 1970, peuvent être représentées, à grands traits, de façon relativement simple. Un corpus théorique reposant sur trois domaines : la théorie du comportement microéconomique d’agents rationnels ; la macroéconomie de la stabilisation du cycle conjoncturel ; et les théories de la croissance – synthèse annoncée entre certaines des leçons de la théorie keynésienne et d’autres leçons inspirées des instruments « classiques ». Ajoutons un formidable développement des indicateurs statistiques et une régulation conjoncturelle pensée sur le mode du fine tuning. À cette orthodoxie venaient s’accoler plusieurs hétérodoxies, inspirées d’un keynésianisme « fondamental », d’un institutionnalisme qui renouvelait les leçons de la tradition veblenienne du début du siècle, des développements de l’économie du développement, des mouvements radicaux ou marxistes, ou encore, dans un tout autre registre, du monétarisme prôné par l’école de Chicago et son chef de file d’alors, Milton Friedman.
L’heure était aux politiques économiques, appuyées sur des instruments de mesure et de prévision des grandeurs micro et macroéconomiques qui connaissaient un essor croissant. La Société internationale d’économétrie avait été créée en 1930 et la sophistication rapide des instruments économétriques avait permis la construction de nouveaux modes de formalisation des données économiques : les modèles – les modèles statistiques, macro économétriques, de comptabilité nationale, de prévision, tous, en France, élaborés au service de cette « ardente obligation » des années d’après-guerre que représente le Plan.
Une épistémologie simple épaulait ce cadre théorique et analytique relativement carré, appuyée sur les thèses de Karl Popper et sur l’affirmation du caractère scientifique de la discipline. Dans la version simplifiée qu’en retiennent les économistes de l’époque, l’épistémologie poppérienne affirmait avant tout le caractère moniste de toute démarche scientifique : tout comme les sciences de la nature, la science économique devait s’enraciner dans une relation forte aux faits – être positive, dire quelque chose sur le monde réel. Autrement dit, elle devrait pouvoir être corroborée ou infirmée par l’observation et l’expérimentation : ce qui n’a pas pour effet de la vérifier, mais de la rendre falsifiable — et donc de la tenir pour provisoirement vraie. Appliqué à la théorie économique, ce si schéma simple a trois conséquences.
Il rompt avec le rationalisme défendu par Walras à la fin du XIXe siècle en affirmant la nécessité dans laquelle se trouve la théorie économique de confronter ses résultats avec les faits pour les valider. Certaines constructions analytiques fondamentales, comme la théorie de l’équilibre général, se trouvent dès lors rejetées hors de cette épistémologie.
Il permet d’avancer une explication simple – et à connotation fortement normative – des « progrès » de la théorie, selon un schéma tétradique : hypothèse (théorie), confrontation avec les faits (retour sur l’hypothèse de départ), reformulation de la théorie, etc. Enfin, il affirme avec force un principe d’extériorité entre la théorie économique et les objets qu’elle observe ou qu’elle analyse.
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