La construction des objets économiques : Vers un déplacement de paradigme
Dans un article de 2006, publié dans les colonnes du Journal of Institutionnal Economies, John Davis s’intéresse au changement de paradigme dominant entre la théorie néoclassique et les nouveaux courants de recherche et propose trois interprétations de ce déplacement. La première affirme la thèse d’une crise du modèle néoclassique. Le modèle standard se serait renforcé dans les années 1950 et I960 – à l’époque du modèle d’Arrow et Debreu et de la synthèse keynésienne. Ce modèle aurait été attaqué de tous côtés (pour ses incohérences théoriques, ses faiblesses empiriques, ses impuissances pragmatiques), mais il continuerait d’être enseigné pour des raisons d’hystérèse institutionnelle, qui relèveraient plus de la sociologie des sciences que d’une dynamique de recherche. À ses côtés, une recherche vivante, innovante, ouvrant sur de nouveaux objets et de nouvelles représentations analytiques, se développerait dans les autres domaines de la théorie. Pour résumer cette première interprétation, la théorie néoclassique constituerait aujourd’hui un programme de recherche dégénérescent.
Une deuxième interprétation de ce changement de paradigme dominant met l’accent sur le fait que, depuis une dizaine d’années, ce sont les autres disciplines qui se saisissent de l’économie. Le mouvement n’est pas nouveau. Il n’est qu’à voir la tradition des ingénieurs économistes, qui proposent, depuis le xixe siècle, un cadre formel et théorique à la théorie économique, en représentant les marchés comme un modèle où les forces s’équilibrent. Ou encore les emprunts ouverts de certains parmi les grands fondateurs du marginalisme, comme Walras, Pareto ou Fisher, au modèle théorique de la physique, dont les définitions, les raisonnements, les formalismes ont, en cette fin du XIXe siècle, été directement transposés à la représentation analytique des marchés. Cette importation récurrente de séquences théoriques, de schémas de pensée et de formalismes mathématiques et statistiques provenant de la physique, de la biologie ou de la médecine, a pour double effet de combler les manques de la théorie économique et de relancer la recherche sur des pistes, formelles ou pratiques, renouvelées. On constaterait aujourd’hui, une fois encore, cette même forme d’absence ou de non-existence des économistes sur leur domaine, où il reviendrait à d’autres disciplines — la physique, la biologie, les neurosciences, la sociologie, la psychologie expérimentale – de donner le ton et de provoquer l’innovation.
La troisième thèse, enfin, est celle de la maturité : l’idée qu’une science, à un moment donné, en aurait fini avec l’exploration de nouveaux territoires et limiterait ses compétences à une classe définie de phénomènes. Ainsi, la théorie microéconomique saurait penser l’équilibre de la firme, à court, moyen et long terme. Elle saurait décrire le fonctionnement d’un certain nombre de marchés, donner des indications sur les évolutions nécessaires des taux directeurs des banques centrales. Elle justifierait ainsi sa prééminence au sein des programmes d’enseignement universitaire. Mais la recherche, elle, fleurirait ailleurs : la nouveauté viendrait du côté de la neuroéconomie, des thèses néo-institutionnalistes, des théories évolutionnistes, de la théorie des capabilités, des théories de la complexité, de la sociologie économique et de l’économie expérimentale. La théorie économique « orthodoxe » continuerait d’alimenter la recherche appliquée, mais son apport serait achevé en termes de recherche. Celle-ci se déploierait du côté d’autres domaines disciplinaires, sans savoir, pour l’heure, lesquels parmi ces nouveaux développements seront intégrés à une nouvelle orthodoxie.
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