La crise actuelle est aussi une crise de la théorie économique : Une rationalité imposée par les économistes
Quels sont donc les éléments de base d’une vision un peu différente ? En économie, on qualifie d’effet externe l’influence de mon action sur une autre, pas uniquement par le biais du système de prix. Or, les effets externes générés par les interactions me semblent primordiaux. Dès lors, le réseau qui gouverne ces interactions devient très important. Aussi convient-il d’en étudier la structure et de comprendre comment elle fonctionne. Quant à l’intelligence que l’on attribue à chaque agent, elle est moindre que dans l’économie classique, les règles de comportement utilisées émergeant en fonction de la situation dans laquelle se trouvent les agents.
Dans le modèle standard, ces derniers sont rationnels et n’interagissent pas directement entre eux. La vision de l’économie comme système complexe permet de substituer une rationalité collective à une rationalité individuelle. Dans de tels systèmes, on est amené à reconnaître que, parfois, l’économie ne se comporte pas avec la même rationalité que celle des individus qui la composent. L’économie standard impose sur les individus des axiomes de rationalité qui proviennent non pas d’une observation attentive du comportement des agents, mais de l’introspection des économistes qui les ont imposés. Pourquoi ? Parce qu’ils en avaient besoin, pour des raisons mathématiques, pour résoudre des problèmes analytiques et techniques de microéconomie.
L’exemple de Dan Gode et Shyam Sunder est à ce sujet remarquable. Ces deux auteurs ont organisé une vente aux enchères doubles. Certains des acheteurs et des vendeurs d’actifs savent à quel prix ils ont achetés et veulent vendre. D’autres veulent acheter et savent à quel prix ils peuvent vendre. Chacun crie le prix qu’il est prêt à payer ou auquel il est prêt à vendre. Dès que deux prix coïncident, la transaction est enregistrée. On a montré que ce processus convergeait vers le prix compétitif, comme s’il répondait a priori à l’intersection entre la courbe de demande et à celle de l’offre. Ce serait la preuve que les agents sont rationnels. Or, Gode et Sunder ont fait une expérience dans laquelle les agents tiraient au hasard leur proposition, entre le plus petit des prix auxquels les participants étaient prêts à vendre, et le prix maximum auquel quelqu’un était prêt à acheter. Dans un marché aux enchères où, comme dans cet exemple, les individus ont une « intelligence zéro », les prix convergent néanmoins vers le prix compétitif et le marché arrive au prix concurrentiel. Mais ces gens n’ont aucune « intelligence » et ne sont pas du tout « rationnels », ils tirent au hasard. C’est l’institution, le marché et ses règles, qui ont généré ce qui paraît être une confirmation de la rationalité des agents. Ces derniers, par leurs actions myopes, se sont organisés entre eux, mais pas consciemment, et leurs interactions ont produit un état efficace.
La structure des interactions
Les interactions entre des individus, entreprises ou même pays, engendrent alors une sorte d’auto organisation qui peut être souhaitable mais qui peut aussi produire des phénomènes catastrophiques. Cette idée est illustrée par le réseau financier des pays du monde. Il a évolué et est devenu fragile sans qu’aucun pays seul n’ait vraiment été conscient du danger.
Si l’on poursuit cette ligne de pensée, l’économie doit donc être considérée comme un système non seulement complexe, mais aussi évolutif. Le réseau qui gouverne les interactions entre individus ou institutions se modifie dans le temps selon les résultats des interactions. Considérons une représentation du réseau financier mondial dans laquelle un lien entre deux pays signifie que chacun des deux détient les actifs de l’autre. Il a souvent été affirmé que plus dense est ce réseau plus stable est le système financier.
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