La question de la limitation de la responsabilité individuelle et du transfert du risque
Cette question est elle aussi essentielle. La plupart des crises financières ou réelles naissent dans le contexte de la phase de prospérité du cycle d’affaire qui encourage les agents à aller au-delà des possibilités d’investissement, de placement ou d’endettement que l’aversion pour le risque leur interdit pourtant de franchir. Il faut alors réduire cette aversion soit par une limitation des risques encourus, soit par un transfert de risque. Il faut cependant que le coût de cette limitation ou de ce transfert n’excède pas le gain escompté. L’instrument privilégié est fréquemment le crédit. On retrouve ici toujours le même schéma même s’il peut prendre des formes différentes. Comme on a pu le noter dans la deuxième partie de cette contribution, l’histoire nous fournit plusieurs exemples de ce qu’il faut appeler un excès de crédit.
Le premier cas que nous avons pu souligner est celui de la crise anglaise de 1866. L’occasion est ici fournie par un boom spéculatif lié à la construction des chemins de fer. La première condition permissive est la prolifération de compagnies financières engendrée par une innovation législative, c’est-à-dire par la possibilité pour ces compagnies de se déclarer à responsabilité limitée (au sens de limited liability) et ainsi d’adopter des comportements plus risqués. La deuxième condition permissive est une innovation financière autorisée par l’apparition de contractors : elle consistait pour la compagnie financière à faire un crédit en émettant une dette. Celle-ci était garantie soit par les actions des compagnies de chemins de fer utilisées comme collatéral auprès du contractor, soit par une lettre de change émise à partir de ces actions escomptables grâce à l’aide de celui-ci.
Le deuxième cas considéré a été celui de la crise de 1929. L’occasion est fournie ici aussi par un boom spéculatif lié à la croyance en la croissance économique des États-Unis après la première guerre mondiale. La première condition permissive est la constitution de facteurs institutionnels poussant à l’excès de crédit : l’existence de l’activité de financiering déjà évoquée dans la deuxième partie de ce texte et la multiplication de pools. La seconde condition permissive est elle aussi une innovation financière, celle de la procédure des call loans. Celle-ci a permis à des milliers d’agents individuels de s’appuyer sur des intermédiaires, les brokers, afin d’acheter à la hausse des titres avec seulement 10 % de leur valeur. Comme les contractors, les brokers jouèrent le rôle d’auxiliaires en se procurant les liquidités manquantes auprès des banques sur le marché de l’argent au jour le jour.
Le troisième cas que nous évoquerons est celui de la crise des subprimes. L’occasion est ici celle d’un autre boom spéculatif, lié au marché de l’immobilier. La première condition permissive est cette fois une innovation financière. Il s’agit tout simplement de la titrisation, c’est-à-dire de la possibilité de créer des créances « titri- sées » de type abs (asset-backed security) ou cdo (collateralized debt obligation) comprenant une part plus ou moins grande de crédits subprimes. Cette procédure a en effet permis aux banques détentrices de créances hypothécaires douteuses de se refinancer et de réduire leur risque puisqu’il s’est trouvé reporté sur les investisseurs, notamment les fonds communs de placement ou des fonds plus spéculatifs qui ont acheté ces créances. La deuxième condition permissive a consisté à faciliter l’obtention de prêts risqués qui pouvaient être hypothécaires (immobiliers ou rechargeables), des cartes de crédit, de la location de voitures et autres, accordés à une clientèle peu solvable ou à l’historique de crédit difficile. Les emprunteurs à risque pouvaient notamment contracter un emprunt immobilier, moyennant un taux d’intérêt révisable généralement indexé, majoré d’une prime de risque et couvrant jusqu’à 110 % de la valeur de l’immeuble objet du prêt.
Pour comprendre le rôle joué par le crédit dans les crises, on ne doit pas s’arrêter à ces mécanismes permettant de transférer le risque et de limiter la responsabilité individuelle. Il faut aussi s’intéresser au passage de la crise financière à la crise réelle.
Vidéo : La question de la limitation de la responsabilité individuelle et du transfert du risque
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