La rétropolation des comptes:
Lorsque la CN change de base, les comptes obtenus avec les nouvelles méthodes ne sont pas directement comparables aux comptes élaborés selon l’ancienne base. Les différences tiennent non seulement aux modifications conceptuelles, mais aussi au fait que de nouvelles sources sont utilisées et des sources déjà existantes mieux exploitées. Pour ne pas rompre la continuité des séries statistiques (indispensable à la qualité des analyses), il faut donc recalculer en base nouvelle les comptes des années antérieures. Cette rétropolation des comptes permet donc d’avoir des comptes définitifs différents pour la même année. Par exemple, l’année 1971 est ainsi disponible dans les bases 1962, 1971, 1980, mais pas dans la base 1995 dont la rétropolation (publiée seulement en 2002) ne remonte qu’à 1978. Les principales séries en base 2000 sont désormais rétropolées depuis 1949.
Si l’on isole les effets de la rétropolation dus aux changements conceptuels, on peut étudier comment les nouvelles méthodes — en principe meilleures — modifient les évaluations obtenues avec l’ancienne base. On s’aperçoit alors, par exemple, que la FBCF des entreprises de 1970 à 1975 obtenue avec la base 1962 doit être sensiblement révisée à la baisse avec la base 1971. Une correction contraire résultait du passage de la base 1959 à la base 1962. En pratique, ces comparaisons se révèlent extraordinairement complexes et sont trop peu pratiquées pour que les enseignements en soient clairs. Pour l’année 1975, les effets du changement d’année de base et de la révision des comptes se sont télescopés et ont conduit à deux images différentes de l’évolution de l’économie française. Au début de 1976, le compte provisoire de 1975 fait apparaître une baisse d’au moins 2 % de la production intérieure brute (agrégat de la base 1962 dans laquelle ce compte est construit). Dans le compte définitif de 1975 (publié en 1979 dans la base 1971), le PIB augmente de 0,3 %. La différence s’explique en partie par les Innovations de la base 1971 : la prise en compte du non-marchand ajoute 0,3 % de croissance, le meilleur traitement de la TVA, 0,4 %. Le reste est dû à des problèmes d’évaluation des variations de stocks, mal résolus dans le compte provisoire.
Malgré les améliorations apportées à la CN, des erreurs importantes peuvent encore se produire. À la fin de la guerre, Churchill proclamait dans un grand discours : « S’il est une chose sûre, c’est que nous ne referons pas les erreurs du passé. » Et d’ajouter à voix basse pour les seules personnes qui l’entouraient : « Mais nous en ferons d’autres » (l’enin, op. cit.). Cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à améliorer et à utiliser la CN.
Les comptables nationaux sont bien placés pour savoir à quel point les résultats précis qu’ils publient sont incertains, même s’ils sont obtenus à partir de sources de plus sophistiquée. Qu’ils fassent partager cette conviction aux utilisateurs serait une amélioration salutaire. Ils pourraient, par exemple, publier systématiquement avec les comptes provisoires d’une année des informations synthétiques mais précises sur les révisions opérées sur les comptes provisoires du passé. Quant aux niveaux, pourquoi ne pas adopter la pratique des Britanniques qui leur attribuent des notes d’incertitude (A : + ou – 3 % ; B : + ou – 10 % etc.) ? Ces notes seraient nécessairement subjectives, mais elles auraient le mérite de faire prendre conscience à l’utilisateur qu’un résultat exprimé au million d’euros près peut être entaché d’un incertitude exprimable en centaines de millions, voire en milliards d’euros. Le travail ingrat, obscur et non valorisant de critique des statistiques rebute la plupart des économistes. Pour eux, les chiffres de la CN sont des données et non les résultats d’une longue chaîne de traitements conceptuels et méthodologiques, et d’approximations de qualité variable dont la « méthode du doigt mouillé » n’est pas toujours absente.
formation brute de capital fixe (FBCF); Comptabilité Nationale(CN)