Le levier de l’innovation en manque d’incitations : La pression de la crise économique
Le premier élément est conjoncturel mais son impact a des conséquences structurelles importantes. La crise économique actuelle a créé une énorme pression sur le système de R & d et d’innovation par le biais d’au moins quatre canaux.
Premièrement, par des contraintes sur la demande : il y a peu d’espoir d’une reprise significative de la demande dans l’immédiat et cela affaiblit la principale incitation à l’innovation que représente l’existence de marchés dynamiques. Deuxièmement, par une sous-utilisassions des capacités de production, avec un niveau actuel de production très fortement inférieur au potentiel. Cet écart risque de ne pas être comblé avant des années. Or, tant que les firmes comptent garder longtemps leurs stocks actuels de machines, leur remplacement et le renouvellement des équipements ne peuvent
constituer une incitation à innover. Troisièmement, par des risques sur les investissements en capital intangible : la formation des travailleurs les plus qualifiés, la R & d, d’autres investissements sont des dépenses sous pression lorsque les ressources diminuent et les opportunités de marché déclinent. Enfin, la crise financière engendre par elle-même des contraintes énormes sur l’accès au crédit pour le financement des jeunes pousses {start-ups)-, des nouvelles firmes et des jeunes innovateurs radicaux.
Selon la théorie économique, les entreprises devraient plus particulièrement investir dans des activités de r d » d et d’innovation durant la période de récession. Il serait socialement optimal que la R & D soit donc contracyclique. En effet, durant la dépression, son coût d’opportunité est plus faible du fait de la faible rentabilité du capital physique et de l’activité productive. Des ressources normalement allouées à la formation du capital physique et à la production sont ainsi libres et peuvent être affectées à la r d“ d. Autre argument en faveur de la contracyclicalité : le délai temporel entre recherche et innovation. Pour être prêt à commercialiser les innovations lorsque l’activité redémarre, mieux vaut effectuer celle-ci au moment de la dépression. Cependant, l’observation empirique démontre la prédominance de comportements procycliques, en particulier une baisse des investissements de r & d qui est conforme aux différents effets de la crise énoncés ci-dessous.
Il faut aussi observer que les changements structurels qui ont affecté l’organisation de la R & d depuis vingt ans environ ont accru la vulnérabilité de nos systèmes d’innovation face à des chocs externes, tels que ceux que l’on connaît actuellement : d’une part, le rétrécissement du secteur public de recherche a diminué la capacité stabilisatrice des États sur le plan du financement de la iccherche, par l’intermédiaire d’un secteur public puissant, adossé à des missions de haute priorité (défense, percées technologiques) ; d’autre part, la désintégration et la spécialisation verticale dans de nombreux secteurs (notamment les secteurs nouveaux) ont donné naissance à des populations de petites firmes, non diversifiées, disposant de peu de fonds propres et fortement dépendantes de sources de financement externes. Ainsi, même si les fondamentaux de l’innovation (demande et opportunités technologiques) restent bons dans certains secteurs tels que la pharmacie et les biotechnologies, comment assurer la viabilité de l’innovation par des firmes verticalement spécialisées, de très petites tailles, non diversifiées et faisant face à des contraintes énormes de liquidité ?
Il y a bien sûr toujours eu une place pour les politiques de soutien à l’innovation. En effet, les investissements dans la commercialisation des nouvelles technologies impliquent des financements importants dans le temps, ainsi que des degrés élevés de risque et d’incertitude. La variance de la distribution des rendements espérés du capital est plus grande dans le cas des investissements de Rcfü que dans celui des autres investissements. Or, comme tous les autres agents économiques, les innovateurs potentiels répondent à des incitations ; ils ne se lanceront que s’ils sont persuadés que les profits réalisés seront supérieurs au coût de l’activité. Dans la plupart des cas, l’importance des risques et de l’incertitude et la hauteur du coût du financement lorsque l’innovateur doit recourir au marché financier rendent nécessaires des incitations supplémentaires ; c’est là qu’interviennent les politiques de l’innovation. Cependant, si elles sont suffisantes durant les périodes de prospérité, elles semblent aujourd’hui désarmées face à l’ampleur du problème posé par la crise : comment permettre au système d’absorber les différents effets des chocs financiers et macroéconomiques, sans endommager plus encore les capacités d’innovation. Le contexte actuel devrait impliquer des politiques d’innovation d’une ampleur inédite. Or on voit bien qu’au-delà des plans de relance, l’heure n’est pas à l’accroissement des dépenses publiques en vue de financer de nouvelles politiques d’innovation.