L’illusion de la machine génératrice de profits perpétuels : Repérer les événements totalement anormaux
Les économistes ont identifié de multiples causes possibles et partielles de la crise. A mon sens, ils ont tous raison quant aux mécanismes facilitant, les éléments qu’ils mettent en avant ayant participé à la crise, qu’il s’agisse des problèmes de conflit d’intérêt ou de sécurisation de la finance. Par contre, leurs analyses ne mettent pas en évidence les fondements de la crise, à savoir que cinq bulles successives ont été la cause constitutive de la crise.
Le modèle du dragon king part de l’idée que les crises sont principalement endogènes, qu’elles peuvent être diagnostiquées et quantifiées à l’avance. Ayant enseigné la géophysique pendant dix ans à l’université de Californie à Los Angeles (ucla), je me permets de souligner que les tremblements de terre nous placent face aux mêmes défis : il faut non seulement prédire le temps, le lieu mais aussi l’amplitude et les conséquences. La prédiction suppose donc une échelle spatio-temporelle et une fenêtre d’énergie. C’est un exercice très difficile. Cependant, on peut parvenir à un certain degré de prédictibilité.
D’un point de vue scientifique, qu’est-ce qu’une crise ? Pour y répondre, nous avons développé une technologie qui consiste à examiner des drawdowns, des séries de pertes cumulées, de pic à vallée, dans le cours d’un actif financier. On s’est aperçu que deux tiers de ces grandes chutes étaient anormales. D’où le concept de dragon kings dont voici l’origine. Certains opposants au roi du Maroc affirmaient que celui-ci détenait la moitié de la richesse du pays. Or, l’une des lois quantitatives les mieux établies de l’économie statistique, la loi de Pareto, dit que la distribution des richesses suit une loi de puissance. Le roi du Maroc brise cette loi de Pareto pour la distribution des richesses. Ce faisant, il constitue un outiier, c’est-à-dire une donnée statistique anormale. Bref, un roi totalement en dehors de la statistique. Voilà pour le king. Pourquoi avoir choisi dragon ? Parce que c’est un animal mythique en dehors du règne animal. Considérer les dragon kings est absolument essentiel.
Afin de bien comprendre en quoi l’analyse peut être erronée si 1 on ne prend pas en compte les outliers, considérons la loi de distribution des villes ou des firmes qui répond à une loi de puissance avec un exposant particulier égal à 1. Cette loi, dit de Zipf, décrit toutes les villes françaises sauf Paris, qui est une anomalie dans la distribution. Rejeter Paris comme un outlier reviendrait à oublier qu’une énorme partie de l’histoire de France imprègne la capitale et réciproquement. Même analyse pour Londres. Où l’on voit donc que les dragon kings n’apparaissent pas au hasard, mais résultent d’une longue série d’événements historiques et qu’il est fondamental de tenir compte de leur rôle particulier.
Ces dragon kings sont des éléments complètement anormaux qui ont un degré de prédictibilité associé à des ruptures majeures. Lors d’un contrat avec la société européenne eads, j’ai eu l’occasion d’en étudier un particulièrement frappant au début des années 1990. Il s’agissait de développer un système de prédiction de la rupture des lanceurs Ariane, qui est d’ailleurs actuellement en phase industrielle. La rupture globale d’un réservoir de pression n’apparaît pas de manière surprenante. Ce n’est pas un black swan. Par des mesures adéquates, en effet, on peut observer l’endommagement progressif et voir la « crise » apparaître. Le procédé est efficace. Les plus grands experts de l’université du Kansas observent le même phénomène avec les crises d’épilepsie, et une réflexion comparable est en cours concernant les tremblements de terre.
Un certain nombre d’événements, comme les krachs financiers, sont donc totalement en dehors de la statistique. Ils sont systématiquement précédés de signes de bulles explosives. Sur une trentaine de très gros krachs, nous montrons que près des deux tiers sont endogènes et précédés par des bulles très bien calibrées. Un exemple : le marché de Hong-Kong. Sur trente ans, on constate huit krachs, des chutes de plus de 15 % en trois semaines, systématiquement précédées par des accélérations paraboliques et une surchauffe du marché.
Pourquoi le concept des black swans a-t-il survécu aussi longtemps et est encore le plus prisé aujourd’hui ? Parce que les statistiques prises en compte par la finance, notamment par les spécialistes de la gestion des risques, ne permettent pas de singulariser les krachs. Si l’on regarde les drawdowns, par contre, on constate qu’il existe des événements particuliers qui se détachent clairement dans l’analyse statistique. Sur la base de l’étude de ces drawdowns, notre groupe avait prévu la crise d’août 1998 et la défaillance de la Russie. Pour nous, ce fut une crise endogène. De même, la crise post-Internet se dégage comme un dragon king.
Vidéo : L’illusion de la machine génératrice de profits perpétuels : Repérer les événements totalement anormaux
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