Comment penser les frontières de l’économie : La révolution analytique des années 1980
Or ce postulat va être remis en cause par la révolution analytique des années 1980. Dans les années 1960, déjà, alors que se diffuse l’analyse de Gurley et Shaw, les théoriciens de l’équilibre général intertemporel, Kenneth Arrow et Gérard Debreu et leurs héritiers, enferment l’analyse du financement de l’économie dans une toute autre problématique. Pour aborder cette dernière de manière fructueuse, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un référentiel, d’une sorte de « cité idéale », qui va servir à caler toute autre réflexion à propos de situations plus proches de la réalité. Arrow et Debreu démontrent ainsi que le financement de l’économie, tout comme l’assurance des risques inhérents aux activités humaines, peuvent être accomplis par des marchés complets d’actifs contingents. En termes plus simples et prosaïques, le financement de l’économie peut être intégralement réalisé par le biais de marchés d’actifs financiers. Ces derniers sont d’abord et avant tout des contrats entre individus. Ainsi, les actifs contingents sont-ils des contrats qui stipulent que si tel événement survient, il s’ensuit alors que certaines parties au contrat réaliseront un gain et, corrélativement, les autres subiront une perte.
Ces conclusions dépendent strictement des hypothèses extrêmement restrictives qu’assignent Arrow et Debreu à leur cadre d’analyse : entre autres, concurrence pure et parfaite, absence de rendements d’échelle croissants dans les activités de production et perfection de l’information disponible pour les agents économiques.
Dans ce cadre, le financement de l’économie comme l’assurance des risques vont requérir que soient passés une infinité de contrats pour prendre en compte une infinité d’événements, tandis que les banques et autres intermédiaires financiers n’ont alors plus aucune raison d’être.
Or ces derniers existent ! Comment expliquer cette anomalie ? Comment les théoriciens contemporains de l’intermédiation financière et de la banque vont-il pouvoir sauver leur cadre d’analyse face aux implacables conclusions des tenants de l’équilibre général inter temporel ? Ils vont, pour cela, suivre deux voies certes distinctes mais pourtant complémentaires.
D’un côté, ils mobilisent les progrès décisifs de l’analyse économique consécutifs à l’apparition de la microéconomie de l’incertain, inaugurée par un célèbre article que George Akerlof consacre au marché des voitures d’occasion en 1970. De l’autre, ils empruntent à la théorie de la firme de Ronald Coase, qui date pourtant de 1937, mais qui a reçu une nouvelle impulsion au cours des années 1970, avec les travaux d’Oliver Williamson, prix Nobel d’économie en 2009. Ils vont donc se positionner au confluent de ces deux courants théoriques et méthodologiques pour parvenir à montrer pourquoi les intermédiaires financiers existent.
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