Comment penser les frontières de l’économie : Pourquoi la banque existe-t-elle?
La microéconomie de l’incertain permet ainsi d’expliquer à quelles conditions le dépôt à vue est de la monnaie, pourquoi la banque octroie des crédits à partir des dépôts et procure de la liquidité aux agents économiques.
Le dépôt à vue, qui est, comme tout actif financier, un contrat, n’est monnaie que pour autant que deux conditions (clauses) incontournables soient simultanément réunies : tout dépôt d’une valeur de cent doit être remboursé au pair à son titulaire qui le demande ; et ce dans l’ordre de présentation au guichet, en cas de début de panique des déposants.
Pourquoi la banque existe-t-elle et octroie-t-elle des crédits ? se demande Douglas Diamond en 1984. Dans un univers d’information imparfaite et asymétrique, génératrice d’incertitude entre créanciers et emprunteurs au sujet de la qualité des projets d’investissement des seconds, l’évaluation préalable de cette qualité, puis le suivi du comportement des bénéficiaires de crédits sont cruciaux. On parle à ce propos du nécessaire monitoring (surveillance) des emprunteurs et de leurs projets. Diamond est ainsi en mesure de montrer que la banque, en se spécialisant dans l’accumulation d’information privée, est beaucoup plus apte à évaluer, à un moindre coût social, les risques des projets et observer le comportement des emprunteurs que ne le sont des investisseurs individuels sur des marchés d’actifs financiers. L’existence de la banque est ainsi justifiée par son rôle de « monitoring délégué » (par les déposants).
Douglas Diamond et Philip Dybvig démontrent aussi en 1983 pourquoi la banque est un assureur de liquidité, en permettant aux consommateurs de déconnecter, à travers les périodes de temps, leurs flux de dépenses et leurs flux de revenus. Et cela, grâce aux observations qu’elle est en mesure de rassembler, à moindre coût, sur les comportements aléatoires des déposants en matière de retrait de leurs dépôts, sur lesquels elle peut effectuer des calculs de probabilité. Elle peut ainsi déconnecter la poursuite de l’octroi de crédit pour financer les investissements des emprunteurs de la préférence pour la liquidité des déposants. Raghuram Rajan pourra alors montrer pourquoi il y a une production conjointe de crédits et de dépôts par les banques de dépôts. La meilleure information dont dispose le banquier avant d’octroyer un crédit est, en effet, celle qu’il accumule sur le candidat emprunteur en observant les mouvements de ses dépôts !
Cette première approche, fondée sur les asymétries informationnelles, permet d’approfondir l’analyse de la banque en terme de théorie de l’intermédiation, tout en éclairant les comportements générateurs des crises bancaires. Elle étaye les arguments en faveur du nécessaire rôle de prêteur en dernier ressort de la Banque centrale, idée déjà soutenue par Thornton en 1802.
La deuxième approche s’inscrit dans la lignée de la théorie de la firme et des organisations de Coase et Williamson. Elle complète la précédente en éclairant le deuxième pan de l’analyse de la banque considérée comme une entreprise, tel qu’on l’abordait déjà dans les années 1960 et qui coexistait alors difficilement avec l’analyse en termes d’intermédiation. Elle fournit un autre ensemble d’arguments pour expliquer pourquoi la banque existe, en absorbant (internalisant) certaines externalités et en réduisant des coûts de transaction inhérents aux marchés financiers. Ceux-ci sont, en effet, loin d’être aussi parfaits que ne le requièrent les hypothèses du cadre d’analyse d’Arrow et Debreu !
Cette seconde approche met aussi l’accent sur le rôle des rendements d’échelle croissants et des phénomènes d’apprentissage dans de nombreuses activités financières. Exposée en 1976 par George Benston et Clifford Smith, elle ne va pourtant pas rencontrer d’emblée l’écho qu’elle mérite. Or, à nos yeux, elle fonde largement toute l’économie industrielle contemporaine du secteur bancaire et financier. Elle est, en particulier, très éclairante pour qui veut comprendre les évolutions des formes d’organisation adoptées par les grandes banques au cours des vingt dernières années. Elle autorise aussi une lecture critique des fondements de la réglementation- surveillance des banques, très largement héritée de la crise des années 1930 et, à ce titre, pas toujours adaptée au contexte nouveau de leurs activités depuis les années 1970.
Néanmoins, confrontés à ce nouveau corpus analytique, les tenants des marchés parfaits et efficients, tels que Eugene Fama, ne désarment pas. Ils se refusent notamment à admettre que la production de monnaie doive être forcément liée au financement de l’économie par du crédit bancaire et à comprendre pourquoi la banque est différente d’un organisme de placement en valeurs mobilières. Leur idée consiste à mettre en place une institution spécialement dédiée à la création de la monnaie gagée alors sur de la dette publique perpétuelle, par exemple, et dont la circulation pourrait même être assurée par un système de type Western Union ! Le financement de l’économie serait le fait d’intermédiaires financiers mobilisant une épargne préexistante comme ressources.
De ces trente années de progrès de l’analyse théorique des banques et intermédiaires financiers, on retiendra aussi qu’ils ont indéniablement permis de comprendre le rôle des banques dans la genèse des crises bancaires et financières, et de mieux appréhender ce que devraient être les fondements d’une bonne réglementation- surveillance du secteur bancaire.
Vidéo : Comment penser les frontières de l’économie : Pourquoi la banque existe-t-elle?
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